romain gauthier

interview

25 septembre 2023
interview cyril vinchon — traduction cathy gastellu

Le monde physique et le monde numérique ont très longtemps été considérés comme deux entités distinctes. Cependant, grâce à des artistes comme Romain Gauthier, une autre réalité s’ouvre à l’intersection de ces deux univers aux antipodes. Ou pas.

Qui est Romain Gauthier ?

Je suis un artiste visuel basé à Paris. J’évolue à mi-chemin entre monde virtuel et réalité physique. Mon travail est une exploration de la mode et des identités numériques. J’aime interroger les perceptions du corps et créer des identités hybrides où l’élégance et les identités queers se rejoignent dans une danse de pixels et de passion.

Décrivez-vous en 3 mots.

Artiste ; explorateur ; nerd.

Questionner la beauté et l’extension de l’identité d’une personne à travers le numérique, ça veut dire quoi exactement pour vous ?

Nous existons de manière simultanée entre le monde physique et le monde virtuel. Je m’exprime au quotidien en tant que Romain Gauthier dans la vie « physique », mais je m’exprime également (voir plus) au quotidien sur les réseaux sociaux ou dans toute autre entité numérique. Pour moi, il existe de nombreux moyens de bâtir son identité dans le monde réel à travers son look, sa manière de s’exprimer ou de bouger. Dans le numérique cependant, je dirais qu’on cherche à imiter le réel, mais à aucun moment on ne cherche à le transcender. Ma vision artistique est la retranscription d’un fantasme. C’est le pari d’essayer d’emmener visuellement l’existence humaine dans des contrées moins établies où le numérique n’est plus un outil de retouche pour cacher des imperfections, mais un outil révélateur assumé. C’est le filtre Instagram sous stéroïde qui, au lieu de te lisser la peau, va plutôt faire de toi un androïde pour la journée.

À ce moment-là, il devient intéressant de voir où je peux amener le corps qui dans le virtuel n’a pas de fonction anatomique propre, mais également la mode qui n’est plus soumise à une quelconque problématique physique. C’est finalement un espace avec de nouveaux enjeux que je trouve très inspirant.

Votre travail semble s’articuler autour du corps, de la symbiose entre le numérique et l’organique. Est-ce une envie de franchir la barrière entre le monde réel et le monde numérique pour qu’ils ne fassent qu’un ?

Je ne dirais pas que j’ai envie de franchir la barrière, mais plutôt que la barrière n’existe pas. Je trouve ce propos plus fort, car il instaure la notion de dialogue entre les deux espaces qui ne sont finalement pas séparés. Un espace physique et un espace numérique fonctionnent dans la même réalité. J’adore l’idée de me dire par exemple qu’un objet peut exister dans un espace physique et être complété par le numérique. Comme une extension naturelle. Ce concept peut s’appliquer à tout et n’importe quoi et c’est ce que je m’efforce de faire à travers mes expérimentations d’impressions 3D, par exemple, ou bien à travers mes réalisations de films en image de synthèse.

Vous rappelez-vous quand cet intérêt pour le numérique est né ?

Je fais partie de la première génération qui a grandi avec internet et le développement des outils numériques. J’ai passé des heures sur des forums, des Skyblogs, des jeux vidéo. Cela fait donc partie intégrante de ma culture. Mon rapport à l’image a toujours été une fenêtre / une invitation au rêve depuis que j’ai découvert qu’on pouvait aller au-delà de la réalité et du quotidien. Dans ce sens, je dirais que très jeune, mes premiers traumas visuels sont sans doute des films hollywoodiens tels que Star Wars ou Jurassik Park.

Vous êtes peut-être le premier créateur à proposer un accessoire à scanner pour terminer une tenue sur un podium, et pas n’importe lequel, celui de Drag Race France pour Punani. Ce tour de force est-il selon vous quelque chose vers quoi nous nous dirigeons / devrions aller ?

Tout d’abord, je suis très reconnaissant et admiratif envers Punani de m’avoir fait confiance dans la réalisation de ce pari et je suis ravi qu’ensemble on ait osé proposer un tel concept. Pour être honnête, je pense qu’il n’y avait pas de meilleur endroit pour explorer une telle idée. La magie du drag et de Drag Race est que cela reste un espace ouvert à l’expérimentation et au questionnement de ce qu’est la mode à proprement parler. À ma connaissance, proposer un accessoire virtuel comme élément complétant une tenue n’a jamais été fait et c’est typiquement dans ce genre d’espace qu’un petit créateur comme moi a la chance de poser la question à un public plus large.

En ce qui me concerne, je pense que quand c’est adapté, c’est quelque chose de nouveau qui mérite qu’on s’y attarde. Le concept qu’on a proposé pourrait être poussé encore bien plus loin, imaginons des vêtements, une retransmission à la télé en numérique, pourquoi pas ? Tout est possible ! Dans tous les cas, je pense qu’il s’agit juste d’un chemin parallèle supplémentaire. La mode numérique n’a pas vocation à « remplacer » la mode physique.

Comment voyez-vous la mode du futur ?

J’adorerai que la mode du futur soit multi-plateforme. On ne remplacera jamais un vêtement, par contre lui donner une existence numérique n’est plus vraiment de l’ordre de la science-fiction. On voit des tentatives de la part des marques qui expérimentent aussi bien dans les skins de jeux vidéo que sur les réseaux sociaux. Pour l’instant, cela reste du marketing limité par la technologie, mais une fois que les nouvelles technologies seront au cœur des réflexions artistiques des créateurs, on verra certainement éclore de nouvelles idées et de nouvelles formes qui compléteront la définition de la « mode ». En tout cas, je serais très curieux de voir ce que cela donne.

Vous avez été exposé au Palais Augmenté 3 et aux Rencontres internationales de la photo d’Arles, et à Amsterdam.  Cette extension inverse de votre travail numérique dans des espaces physiques n’est-elle pas contradictoire ? Cela incite-t-il à pousser votre réflexion ?

Au contraire, elle est complémentaire ! Je ne fuis pas le monde physique. Il fait appel à bien plus de sens. Les matières, la lumière, les sons qui font vibrer un espace, ce sont de nouvelles possibilités avec lesquelles jouer. Ces opportunités d’exposition n’ont été que de nouvelles manières de compléter la partie numérique. Je dirais que finalement c’était indispensable de créer des installations, car elles ancrent ces deux univers dans le réel du spectateur. Dans ce sens, le côté interactif d’une installation comme celle du Palais Augmenté 3 était un super carton d’invitation à explorer cette réalité en les incitant à manipuler des fenêtres physiques sur un monde numérique.

Quel effet cela fait-il de voir une création 3D prendre vie ?

Comme toute forme de création, c’est très enthousiasmant et ce, à plein d’étapes. Je vois la 3D comme un univers méticuleux qui demande en plus d’une vision artistique beaucoup de connaissances techniques. Il y a énormément d’heures de travail passées sur les fondations d’une idée qui ne seront même pas visibles sur le résultat final. Ce qui est génial c’est qu’il y a plein d’étapes qui sont en elles-mêmes de petits succès avant d’arriver à la forme finale. Si je réalise un accessoire de mode par exemple, du dessin au premier sculpt, à la recherche des matières, aux premières images, à l’animation jusqu’à la potentielle impression pour le faire basculer dans le réel, c’est enivrant.

Une devise ?

La cuillère n’existe pas.

 
 

romain gauthier

 

travaux de romain gauthier